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Avr 05

C’est de sa faute

 

En ce soir de vogue au village, Odile avait fait un pari avec sa copine Mireille. Elles sortiraient avec le premier garçon qui aurait des chaussures impeccablement cirées. En réalité pour Odile ce n’était pas la joie. Cela faisait un an qu’elle était séparée de Marc et elle n’arrivait pas à l’oublier. Mais comment ne s’était-elle pas rendu compte à quel point elle tenait à lui ? Par moment, elle revivait les instants qu’ils avaient partagés et le cœur serré, elle se mettait à pleurer.  Mais comment était-ce possible que tout cela soit terminé ?

 

Juste après, croyant oublier Marc facilement, elle était sortie avec Patrick, ça avait été une catastrophe. À chaque rencontre, c’était à Marc qu’elle pensait.  Il était si différent !

 

Un groupe de garçons s’approcha. L’un d’eux, beau garçon, lui proposa un tour d’autotamponnantes. Un autre invita Mireille. Il choisit une voiture jaune et ils passèrent la soirée à chercher à entrer dans les copains, ils avaient bien rigolé. C’est en descendant de la voiture qu’elle remarqua ses chaussures parfaitement cirées. Elle trouva Paul plutôt sympathique.

 

Odile était pensionnaire dans un collège de sœurs. Ils se donnèrent rendez-vous pour le week-end suivant. Elle rentrait en train le samedi en fin de matinée. Ils se verraient à 14 heures.

 

Ils passèrent le week-end ensemble. Il avait une voiture avec un autoradio. Elle se souvient encore du morceau de Donavan, « Mellow Yello », qui passait alors qu’ils se promenaient.

 

Elle voulait être médecin, mais n’arriva pas à entrer en première année. Elle choisit l’enseignement qui ne l’emballait pas, mais qui avait au moins l’avantage de lui offrir beaucoup de vacances. Avec Paul ça allait plutôt bien. Quelques accrochages de temps en temps, mais la plupart du temps tout se passait bien, elle était plutôt amoureuse, mais le souvenir de Marc était toujours présent.

 

Ils se marièrent.

 

Sexuellement, les débuts n’avaient pas été mirobolants. Il faut dire que l’image qu’on lui avait donnée de la « chose » n’était pas très engageante. Elle avait dû faire de gros efforts, une migraine lui sauvait la mise, mais elle se rendait bien compte que Paul n’était pas dupe il savait lorsqu’elle simulait.  On a beau chercher à faire plaisir à son partenaire, lorsque l’on n’est pas sincère, cela se sent. Elle était quand même satisfaite de leur relation. Elle s’était surprise quelquefois à oser demander à Paul de faire l’amour, répondant à une demande de tout son être.

 

Deux enfants, une fille Aurélie et un garçon, Franck sont nés.

 

Les années ont passé. Comme souvent dans beaucoup de couples les rapports ont commencé à se dégrader. Au début, on ne voit que ce qui va, mais après quelques années, on ne voit plus que ce qui ne va pas.  Voilà bientôt trente ans qu’ils étaient ensemble et elle se demandait sérieusement quelle direction elle pourrait prendre. Souvent elle évoquait leurs premières années, celles où ils avaient eu un réel amour l’un pour l’autre.

 

Elle se demandait comment ce garçon qu’elle avait aimé à vingt ans, avait pu devenir cette personne qu’elle ne pouvait pratiquement plus supporter.  Elle se souvenait d’avoir traversé la moitié de Lyon pour lui ramener un chausson aux pommes, elle lui cuisinait les plats qu’il aimait, elle avait adoré certains de ses défauts qui aujourd’hui l’exaspéraient. Comment en étaient-ils arrivés là, que s’était-il passé ?  Quelles pouvaient être les raisons de ce naufrage inéluctable de la plupart des couples ? Y avait-il un moyen d’inverser le processus ?

 

Dans des moments de lucidité, elle était consciente que parfois elle était particulièrement désagréable et méchante avec lui. Lorsqu’elle avait la « niare » comme elle disait, elle était carrément odieuse. Elle justifiait son comportement en étant persuadée que toutes les femmes faisaient la même chose. Sa copine Élisabeth ne lui avait-t ‘elle pas conseillé d’être garce, un excellent moyen de conserver un homme selon ses dires. Odile n’était pas non plus un modèle d’affection. Il est vrai qu’au niveau familial il y avait un lourd handicap. Elle ne se souvenait même pas que sa mère ou son père l’aient embrassée. À la maison elle n’avait jamais reçu le moindre compliment. Elle s’efforçait d’être une bonne élève. Lorsqu’elle revenait avec une excellente note en poésie, on lui demandait systématiquement la note de son copain Louis. S’il l’avait dépassée, c’était le reproche. Il fallait toujours qu’elle soit la parfaite petite fille, mais sans aucun retour de compliment. Elle était bien consciente que si aujourd’hui elle manquait totalement de confiance en elle, ce qui parfois lui déclenchait des crises d’angoisse, c’était le résultat de cette course à la perfection qu’on lui avait imposée.

 

Elle ne voyait pas vraiment de solutions, mis à part le divorce, mais elle ne pensait pas que c’était la solution miracle. Elle ne croyait pas en l’âme sœur, au prince charmant qui frappe un jour à la porte. Personne ne vient sur terre pour sauver qui que ce soit, il y a déjà assez de travail à se sauver soi-même. Elle pressentait qu’il devait y avoir un autre moyen. Elle avait été particulièrement contrariée par l’histoire de sa copine Claire. Elle pensait que Claire et Frank formaient le couple idéal. Combien de fois avait-elle envié leur relation ? Puis, un jour, dans une conversation elle avait dit à Claire : « Quand on voit l’harmonie qu’il y a au sein de votre famille… » Claire ne l’avait pas laissée finir : « Eh bien tu crois ça !». Elle découvrit avec stupeur que Claire était à la recherche d’une relation amoureuse, ayant déjà eu plusieurs amants. Son autre copine, Anne, avait déjà divorcée tout en et pensant avoir trouvé la perle rare en son nouveau compagnon. Aujourd’hui, lorsqu’elle en parle, elle est nettement moins affirmative. Les petits câlins du début avaient complètement disparu, et on sentait bien qu’il ne restait plus grand-chose. Lui aussi laissait trainer ses chaussettes et laissait des traces de pipi sur l’abattant des W.C. Odile se souvenait en souriant de la boutade de son ami Claude : « À chaque fois on est persuadé qu’on a trouvé un trésor et très rapidement on se rend compte qu’il n’y a que le prénom qui change. »

 

Que faire, que tenter ?

 

Elle allait avoir cinquante ans l’année prochaine. Depuis toute jeune, elle pensait, qu’à une certaine période de la vie, il était nécessaire d’en baver. Il était normal de travailler dur pour s’assurer une certaine aisance financière, payer la voiture, la maison, il était normal d’avoir des soucis pour élever des enfants. Il était aussi normal de naviguer un certain nombre d’années dans le brouillard pour trouver sa voie. Mais tout cela n’avait de sens que dans la mesure où ça débouchait sur une vie paisible et joyeuse. Si l’on n’avait pas atteint un peu de bonheur et la joie de vivre à un certain âge, quand est-ce qu’on l’aurait ?

 

Elle pensait que la vie de couple devait évoluer vers plus de compréhension, de complicité, de tendresse, et non l’inverse. Elle détestait cette vision populaire : « C’est mon mari, c’est ma femme » comme si c’’était un objet qui nous appartenait et sur lequel nous avions tous les droits. Elle était profondément persuadée que la vie de couple consistait à aider l’autre à devenir lui-même.

 

Elle relisait souvent ce poème de la psychothérapeute américaine, connue particulièrement pour son approche de la thérapie familiale Virginia Satir :

 

Être en relation

Je veux pouvoir t’aimer sans m’agripper

T’apprécier sans te juger

Te rejoindre sans t’envahir

T’inviter sans insistance

Te laisser sans culpabilité

Te critiquer sans te blâmer

T’aider sans te diminuer

Si tu peux m’accorder la même chose

Alors nous pourrons vraiment nous rencontrer

Et nous agrandir l’un l’autre

 

Elle pratiquait le Yoga depuis douze ans et justement un aphorisme du Maître Patanjali (I.14) disait que si le Yoga était pratiqué avec ferveur, persévérance, de façon ininterrompue et pendant longtemps, il apportait obligatoirement une vie agréable. Si cela ne se produisait pas, c’était que la pratique n’était pas faite correctement. Elle avait lu dans la revue Viniyoga un article de Frans Moors : « Le Yoga favorise l’harmonie et l’épanouissement de l’Être. Ceci implique non seulement les différents aspects de la personne, santé et équilibre physique, énergétique, psychique, spirituel…, mais également ses activités, sa relation au monde à la nature et aux gens qui l’entourent, la paix avec le passé, la stabilité dans le présent et une certaine sérénité par rapport au futur, et encore le développement de potentiels dont souvent on ne soupçonne même pas l’existence. »

 

Elle pratiquait toutes les semaines en cours individuels avec un professeur, et tous les matins une vingtaine de minutes. Elle revendiquait donc cette amélioration de la vie promise.

 

Elle croyait aussi beaucoup à l’importance des pensées qu’elle entretenait dans son mental. De même qu’une tasse emplie de thé ne pourra donner que du thé, un mental empli de pensées négatives ne pourra donner que des idées négatives. Elle avait découvert à sa grande surprise le channeling et elle avait fait des stages avec Catherine Bardoux, un professeur passionnant. Elle lui avait expliqué que la santé était un état normal que chacun pouvait atteindre par un certain mode de vie.
« L’homme est esprit et par l’esprit il est le maître non seulement de son corps, mais de sa vie entière.
La vraie cause de la maladie est dans les émotions enchevêtrées, les peurs, les jalousies, les anxiétés, les frustrations et les déceptions engendrées par les efforts des hommes et des femmes pour réaliser le bonheur et pour faire face aux exigences de la vie moderne. »

 

Nous recevons le don sans prix de la vie, nous recevons aussi la mission de nous réaliser. Si nous suivons notre voie, si nous lui consacrons toute notre énergie, quelque chose nous dira : « C’est en accord avec mon propre caractère. Quand vous sentez que vous devez accomplir quelque chose dans un domaine donné, vous avez trouvé votre vocation. Appliquez toute votre force à cette chose, et vous sentirez toute la valeur de votre travail et toute la valeur de votre propre vie. »

 

Elle avait du mal à accepter certaines notions, notamment celle d’être responsable de tout ce qui lui arrivait : « Comment ça de ma faute ? Ce n’est quand même pas de ma faute SI… ». Elle avait en elle le regret d’avoir abandonné médecine, mais c’était tellement plus facile de dire que c’était la faute de Paul !

 

Après ce bilan qui lui avait montré où elle en était, elle mit en place une stratégie qui se déroulerait en plusieurs étapes, toucherait plusieurs domaines et mettrait en scène plusieurs acteurs. Ses enfants, son mari, ses amis, l’amour, sa santé, son métier, l’argent ? Que voulait-elle au juste ?

 

Elle dessina une carte aux trésors avec tout ce qu’elle possédait actuellement et tout ce qu’elle désirait obtenir dans les vingt prochaines années. Faisant bien la différence entre ce qui venait de ses conditionnements et du paraître, et ce qui venait du plus profond d’elle-même, de son âme. Ne pas confondre réussir dans la vie et réussir sa vie.  Après de longues heures, voire de longs jours de réflexions, elle avait une image très précise de son futur. Sérénité, joie de vivre, tranquillité financière, épanouissement familial et personnel.

 

Maintenant, il fallait se mettre à l’ouvrage, mais sans précipitation. C’était plutôt : « Laissez les choses venir à vous. Il n’y a pas besoin de forcer pour obtenir quelque chose. Vous n’avez qu’à éprouver le sentiment suscité par cette chose et laisser faire. Soyez certains qu’elle viendra à vous d’elle-même. » Aucune culpabilisation ne serait tolérée.

 

Elle commencerait par le plus simple c’est-à-dire par elle-même. Elle ferait un travail d’acceptation. Elle essayerait d’admettre que pour elle, « Elle était la personne la plus importante au monde ». En plus de l’heure de Yoga qu’elle pratiquait toutes les semaines avec son professeur, elle choisirait chaque semaine une technique différente qu’elle ferait huit fois tous les matins au réveil, la fenêtre grande ouverte.

 

Le mercredi soir, elle s’accorderait une soirée de détente et de relaxation.

 

Ce serait un bain chaud avec une petite musique et quelques gouttes d’huiles essentielles de mandarine, lavande et verveine. Elle ferait aussi un travail sur ses conditionnements qui lui encombraient le mental. « Tu dois être belle, tu dois être gentille, tu dois être la meilleure ». Ces choses qu’elle avait entendues pendant toute son enfance et qui sapaient sa confiance. À bien réfléchir qu’est-ce que l’on a de plus quand on est le premier partout ? Est-ce seulement souhaitable.

 

Dans un deuxième temps, elle améliorerait ses rapports avec les enfants. Savoir dire non parfois est la bonne solution. Ils étaient à l’âge où l’on aspire à voler de ses propres ailes et c’est tout à fait normal. D’un autre côté, elle ferait en sorte de faire que la maison soit un refuge chaleureux où l’on se sent bien. Aurélie avait tendance à lui manquer un peu de respect, dorénavant elle ne laisserait pas passer ce comportement. Elle veillerait à ce qu’une fois par mois, il y ait un week-end familial. Elle aiderait à garder le contact entre eux, en créant des occasions de rencontre. Les gens avec lesquels nous n’avons plus de relation disparaissent petit à petit de notre mémoire.

 

Une phrase, d’un sage chinois l’avait interpelée : « En famille, il faut maîtriser ses humeurs ». Dans la famille il y a des choses que l’on ne fait pas, que l’on ne dit pas.  Parfois l’autre nous énerve, mais en réalité c’est que l’énervement est en nous.  Lorsque l’on aime quelqu’un, on n’a pas de façon primaire à lui faire supporter la mauvaise journée que nous avons eue.  Elle mettrait une attention particulière à ne pas répondre agressivement surtout lorsqu’on lui demanderait gentiment quelque chose. 

 

Avec Paul ce serait plus compliqué. Lentement les relations s’étaient dégradées. On commence par quelques petits reproches et un jour on s’aperçoit qu’il n’y plus que les reproches. Ses amies avaient beau lui dire qu’il était l’homme idéal qu’elle avait de la chance qu’il faisait ceci, cela, il n’y avait rien à faire elle en était arrivée à ne plus voir que ce qui n’allait pas. Dans les quelques séances qu’elle avait suivies avec une psy, on lui avait dit qu’elle devait s’affirmer. Elle devait arrêter de dire que son mari ne faisait aucun cas de ses désirs, mais elle devait commencer par dire ce qu’elle voulait. C’était quelque chose qu’elle n’arrivait pas à maîtriser. Paul adorait la pêche et pour les vacances tout était tourné vers cette activité. Cette année, elle s’était fixé d’imposer en plus de l’incontournable semaine de pêche dans l’Allier pour le plaisir des deux hommes, une semaine à la mer. Sable brûlant et mer chaude comme elle adorait. S’il refusait, elle irait toute seule avec Aurélie !

 

Elle ferait aussi un effort pour se montrer coquette. Après tout le mariage n’est pas un chèque en blanc et il ne nous autorise pas à faire tout et n’importe quoi. Ce n’est pas parce que nous sommes mariés que l’on peut sentir la cigarette, l’alcool, ou avoir des bouées autour du ventre. Au préalable, pour pouvoir vivre l’amour avec un grand « A », il y a le respect. Paul l’avait épousée parce qu’elle était mignonne et agréable, comme il lui avait dit. Elle ferait un effort pour le redevenir même au prix de quelques gâteaux en moins. Elle s’imposa, chaque fois qu’une critique sur Paul venait à son esprit, de la remplacé par quelque chose de positif. « Il n’a pas encore sorti la poubelle, était changé en : « J’apprécie quand il m’accompagne à mes rendez-vous » …

 

La pente a été difficile à remonter et ça ne s’est pas fait du jour au lendemain.

 

Elle lui proposait d’aller marcher ensemble, alors qu’ils étaient côte à côte, elle lui mettait la main autour de la taille. Elle comprit que tous ces petits gestes d’affection, toutes ces petites intentions, qui construisent une relation, une famille, elle ne les avait jamais connus pendant son enfance, elle ne savait pas les faire spontanément. Chez elle, on utilisait plutôt les sarcasmes, les reproches, les réflexions et les jugements qui étaient les meilleurs moyens pour détruire une relation.

 

Elle a été étonnée de constater à quel point Paul n’avait été que le miroir de ses propres problèmes. Elle le comprenait et l’admettait ce qui lui donnait la possibilité de choisir sa vie.

 

Nous avons cette capacité extraordinaire que, quoi que nous ayons vécu, aussi terrible que ce soit, le jour où nous retrouvons l’amour et l’harmonie dans notre âme, tout le reste disparaît.

 

Elle avait compris qu’elle était seule responsable, elle était enfin libre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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